• Bouabdellah Tahri :

    « J’ai fait le deuil de mon passé »
     
           
     
    Bouabdellah Tahri : « J’ai fait le deuil de mon passé »

    Apaisé. C’est le premier mot qui vient à l’esprit en entendant Bouabdellah Tahri. Le Messin de trente-quatre ans a toujours été un athlète réfléchi et posé. Mais la distance avec laquelle il analyse son superbe week-end anglais (vainqueur sur 3000 m et deuxième sur 5000 m derrière Mo Farah) et son retour au premier plan est bluffante. De retour dès lundi sur les hauteurs de Font-Romeu, pour préparer la suite de la saison, le recordman d’Europe du 3000 m steeple se confie avec franchise sur ses années de galère, tout en évoquant avec gourmandise les échéances athlétiques qui l’attendent. A savourer.

    Athle.fr : Avec quelques jours de recul, quel bilan tirez-vous de votre week-end anglais ?
    Bouabdellah Tahri : Ce week-end a été très enrichissant et positif, personnellement et collectivement. J’ai apporté ma pierre à l’édifice avec les points remportés et j’ai pu commencer à reproduire ce que j’arrive à faire à l’entraînement. C’est toujours bien de concrétiser en compétition. J’ai couru deux fois en vingt-quatre heures, dans des courses à la tactique à peu près similaire. Il y avait de l’adversité. Ces résultats vont me remettre en selle au niveau de la confiance. Je suis toujours un peu frustré de ne pas avoir pu réaliser une performance à Eugene (ndlr : bien parti pour battre le record de France du 10 000 m, il a été contraint à l’abandon après la mi-course en raison d’une entorse à la cheville). Cette fois, j’ai saisi l’opportunité.

    Vous êtes arrivé à Gateshead avec une préparation tronquée par votre blessure. Il n’y avait pas un peu d’inquiétude ?
    Je n’ai pas eu d’appréhension. J’ai quand même bien travaillé les deux dernières semaines avant la Coupe d’Europe. A Eugene, je me suis fait mal à la cheville mais j’ai aussi eu une petite lésion au mollet. J’ai dû prendre une semaine de repos complet. J’ai repris ensuite tranquillement pour monter en puissance. J’ai remis les pointes le mercredi avant Gateshead et ça a été positif. J’ai donc donné mon aval pour doubler. J’ai pris mes responsabilités.

    Comment avez-vous vécu vos retrouvailles avec les Bleus ?
    J’étais content de retrouver l’équipe de France après ce que j’ai vécu l’année dernière, où j’ai regardé les grandes échéances en supporter. J’ai participé à tant de finales mondiales pendant toutes ces saisons. Il faut parfois avoir un peu de recul pour savourer ces choses-là. Maintenant que je suis à nouveau sur le devant de la scène, j’en profite pleinement. J’ai fait le deuil de mon passé. Je n’ai plus envie de me baser sur des modes de fonctionnement précédents. Je redécouvre pas mal de choses. Cette fraîcheur me fait du bien. Je n’ai pas changé mes habitudes pour autant. Je suis toujours tranquille, ni trop confiant, ni trop peureux.

    Trouvez-vous que l’équipe de France a changé, par rapport à la dernière sélection que vous aviez connue ?
    Je trouve qu’il y a beaucoup plus d’humanité dans cette équipe. Il y a une fraternité qui existe. Ca s’est senti pendant tout le week-end. Les leaders sont là et tirent vers le haut les jeunes. Moi, je ne revendique rien. Je fais mon petit bonhomme de chemin. Si les jeunes ont besoin de moi, je leur répondrai volontiers. A Gateshead, j’ai donné ma réponse sur la piste.

    Après les galères par lesquelles vous êtes passé, peut-on parler d’un sentiment de revanche ?
    Je suis très tranquille avec ça. Depuis que j’ai commencé l’athlétisme, je sais que le haut niveau est éphémère. Tout peut s’arrêter du jour au lendemain. J’ai frôlé l’arrêt de carrière. J’ai connu des problèmes de santé importants. J’ai vu le regard des gens qui changeait, entendu le téléphone qui sonnait moins. C’est la vie. J’ai beaucoup souffert et c’est normal pour un sportif de haut niveau. Quand tu gagnes, on te lèche. Quand tu perds, on te lâche. Quand tu es blessé, on te lynche. J’ai gagné en 2000 et en 2013 à Gateshead, à treize années d’écart. Vous savez, j’ai un leitmotiv : « Dire, c’est rire. Faire, c’est taire. » J’essaye de répondre au maximum sur la piste. Je ne suis pas un communicant mais un travailleur.

    Après les championnats d’Europe par équipes, vous avez annoncé vouloir tenter de doubler 1500 m et 5000 m aux Mondiaux de Moscou…
    Je peux être performant sur 5000 m et aller aux Mondiaux sur cette distance. Sur 1500 m, j’en suis sûr, j’ai aussi mon mot à dire.  J’ai pu voir ce week-end que j’étais capable de finir vite et d’enchaîner les courses. Il y a plein de choses qui m’attendent. J’ai envie de revenir pour les gens qui m’ont aidé et qui m’aident encore : Jean-Michel (Dirringer), Bastien Perraux, qui me suit au quotidien. Il est important de se baser sur un socle de gens qui te mettent en confiance.

    Quel va être votre programme ?
    Je cours dimanche à Birmingham sur 1500 m puis je serai à Lausanne sur 5000 m. J’enchaînerai ensuite avec les championnats de France, où je suis engagé sur deux distances (1500 m et 5000 m). Doubler ne me pose pas de problèmes. J’ai fait des séances d’entraînement à dix bornes. En fait, la difficulté n’est pas tant physique que psychologique. Il faut être capable de se remobiliser pour le lendemain, de faire un nouveau réveil musculaire. Et ça, j’ai montré que j’en étais capable.

    Propos recueillis par Florian Gaudin-Winer pour athle.fr