• Le 400m

    Le 400 m, tour de souffrance

    Le Grenadin Kirani James au départ du 400 m

    Corps désarticulés, allongés ou titubants, l’arrivée du 400 m ressemble parfois à une scène de carnage. Ce soir, le vainqueur de la finale de la course réputée être la plus douloureuse des championnats du monde souffrira certainement moins que les perdants...

    La veille, quelques minutes après avoir remporté sa demi-finale en 44 s 81 en donnant l’impression d’une insolente facilité, le champion du monde et olympique en titre Kirani James, épuisé, tentait de reprendre son souffle en zone mixte : « Même les séries font mal, même en courant à près d’une seconde de son record ! En championnat, on est tous là pour la même chose, donc il faut se donner à chaque tour. » Il aura l’avantage de partir au couloir 5, avec en ligne de mire son rival LaShawn Merritt. Le coach de l’Américain, Loren Seagrave, me décrit son approche de cette course particulière qui fait monter des douleurs dans toutes parties du corps au même moment : « Les jambes brûlent, les poumons suffoquent, la tête est prête à exploser… » Un tel effort demande évidemment un entraînement construit autour de la tolérance à la douleur. « La préparation mentale est le plus souvent accomplie par l’athlète lui-même. Les spécialistes de 400 m sont naturellement plus durs au mal que les autres, c’est d’ailleurs ce qui empêche beaucoup de sprinteurs de monter sur le tour de piste. »

    Les séances, dans une planification progressive, contiennent des courses simulant l’effort qui sera demandé pendant le 400 m. Mais pas seulement. « Les recherches de ces cinq dernières années montrent que la composante ‘aérobie’ est beaucoup plus importante que ce qu’on croyait », explique Seagrave. L’amélioration de la capacité du système cardio-vasculaire permettrait de reculer le seuil de fatigue en course. C’est déjà ainsi que s’entraînaient les Russes d’après ce que m’avait expliqué Olga Bukharina il y a quelques années. Ancienne athlète dans les années soixante, elle était responsable du relais 4x400 m féminin toujours détenteur du record du monde depuis 1988 ainsi que de l’entraînement de deux de ses membres, Olga Nazarova et Maria Pinigina. Immigrée au Texas, elle a ensuite coaché des athlètes jamaïcains dont l’ancienne championne nationale du 400 m Juliet Campbell. Elle aimait donner une séance spécifique qui consistait en une course de 300 m, « et une fois la fatigue accumulée, terminer les derniers 100 m en montant les genoux pour cibler là où ça fait mal ». Ou régulièrement, tester les coureurs sur 500 m pour explorer l’au-delà de la douleur. Le travail d’aérobie prenait aussi une large place, avec des 6 x 400 m séparés par des lents footings de plus en plus courts, et chaque mois, il fallait impérativement descendre le temps total de course.

    « Avec toutes les courses longues et lentes, il faut faire attention à ne pas détériorer l’explosivité des coureurs », prévient Seagrave. Merritt a commencé sa saison 2013 par des 200 m, dont un en 20.23, un temps qui le qualifierait probablement pour la finale à Moscou. Kirani James ne pratique le tour de piste que rarement, mais on estime qu’il serait d’un niveau proche de son rival en vitesse pure. Ce compromis entre vitesse et endurance, le Russe Victor Markin, héros surprise des Jeux de 1980, l’avait trouvé. Il était sorti de nulle part en améliorant son record de 2 s 60 pour remporter le titre du 400 m en 44 s 60, record national toujours d’actualité. Son volume d’entraînement, calibré à l'époque pour une performance de 45 s 00, avait augmenté à la fois en vitesse et en endurance dans des proportions identiques, 42 %. Les tests biologiques montraient qu’il avait acquis – comment ? – la capacité de courir plus vite à chacune des allures demandées au cours cette saison sans produire davantage de déchets organiques. En quelque sorte, il était devenu, le temps d’un été seulement, le parfait coureur de 400 m.

    Kirani James, lui, semble être parti pour durer, peut-être grâce à sa mémoire défaillante : « Après chaque course, la douleur s’oublie peu à peu. On finit par ne plus se souvenir à quel point on a eu mal, et c’est comme ça qu’on recommence… » À seulement 20 ans, celui qui a déjà tout gagné devra se méfier des progrès tactiques de LaShawn Merritt. Selon le coach de l’Américain, « il comprend désormais comment mieux distribuer son effort sur le tour de piste et moins souffrir dans la dernière ligne droite ». Plus fort que tous ces moyens tactico-techniques, Loren Seagrave connait un antalgique très puissant : « On a beaucoup moins mal quand on gagne la course ! »